Amphitryon (1668). MONOLOGUE DE SOSIE - Molière
Publié le 22/06/2011
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Analyse. — Cette pièce est imitée d'une comédie du poète latin Plaute. Au fond, c'est un double quiproquo : Jupiter se fait passer pour Amphitryon, général thébain : Mercure prend la figure et la place de l'esclave Sosie. Il en résulte plusieurs situations piquantes dans lesquelles Jupiter et Mercure triomphent des embarras d'Amphitryon et de Sosie, — jusqu'au moment où Jupiter se fait connaître et remonte dans l'Olympe. — Dans cette scène, Sosie, chargé par son maître d'annoncer à sa femme Alcmène sa victoire et son retour, chemine seul, dans la nuit noire, et se dirige vers le palais d'Amphitryon. Très peureux, il essaye de se rassurer lui-même, et il repasse le discours qu'il veut débiter à Alcmène. Molière suit de très près le texte de Plaute mais nous signalerons, dans les notes, quelques points où se manifeste son originalité.
Qui va là? Hé! ma peur à chaque pas s'accroît! Messieurs, ami de tout le monde. Ah! quelle audace sans seconde De marcher à l'heure qu'il est! Que, mon maître, couvert de gloire, Me joue ici d'un vilain tour! Quoi! si pour son prochain il avait quelque amour, M'aurait-il fait partir par une nuit si noire? Et, pour me renvoyer annoncer son retour Et le détail de sa victoire, Ne pouvait-il pas bien attendre qu'il fût jour? Sosie, à quelle servitude Tes jours sont-ils assujettis! Notre sort est beaucoup plus rude Chez les grands que chez les petits. Ils veulent que, pour eux, tout soit dans la nature Obligé de s'immoler. Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure, Dès qu'ils parlent il faut voler. Vingt ans d'assidu service N'en obtiennent rien pour nous, Le moindre petit caprice Nous attire leur courroux. Cependant notre âme insensée S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux, Et s'y veut contenter de la fausse pensée Qu'ont tous les autres gens que nous sommes heureux. Vers la retraite en vain la raison nous appelle, En vain notre dépit quelquefois y consent : Leur vue a sur notre zèle Un ascendant trop puissant, Et la moindre faveur d'un coup d'oeil caressant Nous rengage de plus belle. Mais enfin, dans l'obscurité. Je vois notre maison, et ma frayeur s'évade. Il me faudrait, pour l'ambassade, Quelque discours prémédité. Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire Du grand combat qui met nos ennemis à bas. Mais comment diantre le faire, Si je ne m'y trouvai pas? N'importe, parlons-en, et d'estoc et de taille, Comme oculaire témoin. Combien de gens font-ils des récits de bataille Dont ils se sont tenus loin! Pour jouer mon rôle sans peine, Je le veux un peu repasser. Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène; Et cette lanterne est Alcmène, A qui je dois m'adresser.
(Sosie pose sa lanterne à terre.)
« Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux... (Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes, M'a voulu choisir entre tous Pour vous donner avis du succès de ses armes, Et du désir qu'il a de se voir près de vous. — Ah! vraiment, mon pauvre Sosie, A te revoir, j'ai de la joie au coeur. — Madame, ce m'est trop d'honneur, Et mon destin doit faire envie. (Bien répondu!) — Comment se porte Amphitryon? — Madame, en homme de courage, Dans les occasions où la gloire l'engage, (Fort bien! belle conception!) — Quand viendra-t-il, par son retour charmant, Rendre mon âme satisfaite? — Le plus tôt qu'il pourra, madame, assurément, Mais bien plus tard que son coeur ne souhaite. (Ah!) — Mais quel est l'état où la guerre l'a mis? Que dit-il ? que fait-il? Contente un peu mon âme. - Il dit moins qu'il ne fait, madame, Et fait trembler les ennemis. (Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?) — Que font les révoltés? Dis-moi, quel est leur sort? — Ils n'ont pu résister, madame, à notre effort : Nous les avons taillés en pièces, Mis Ptérélas, leur chef, à mort, Pris Télèbe d'assaut; et déjà dans le port Tout retentit de nos prouesses. — Ah! quel succès, ô dieux! qui l'eût pu jamais croire? Raconte-moi, Sosie, un tel événement. — Je le veux bien, madame : et, sans m'enfler de gloire, Du détail de cette victoire Je puis parler très savamment. Figurez-vous donc que Télèbe. Madame, est de ce côté; (Sosie marque les lieux sur sa main ou à terre.) C'est une ville, en vérité, Aussi grande quasi que Thèbe. La rivière est comme là; Ici, nos gens se campèrent : Et l'espace que voilà, Nos ennemis l'occupèrent. Sur un haut, vers cet endroit, Était leur infanterie; Et plus bas, du côté droit, Était la cavalerie. Après avoir aux dieux adressé les prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal : Les ennemis, pensant nous tailler des croupières, Firent trois pelotons de leurs gens à cheval; Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée, Et vous allez voir comme quoi. Voilà notre avant-garde, à bien faire animée : Là, les archers de Créon, notre roi; Et voici le corps d'armée, (On fait un peu de bruit.) Qui d'abord...? Attendez : le corps d'armée a peur...
(Amphitryon, acte I, sc. i.)
QUESTIONS D'EXAMEN
I. — L'ensemble. — Un monologue plein de mouvement, et qui, dans la seconde moitié, se transforme en une véritable petite comédie. — De quelle mission Sosie a-t-il été chargé par son maître? Quel vous paraît être le trait dominant de son caractère ? (il est peureux; déjà, pendant le combat, il s'était montré poltron...); Comment vous expliquez-vous qu'il parle seul ? Montrez que le monologue devient un dialogue, dans la seconde partie; Sosie ne se dédouble-t-il pas, au cours du dialogue? N'est-il pas à la fois acteur et spectateur?
II. — L'analyse de la scène. — Distinguez les différentes parties de la scène : a) La frayeur de Sosie; b) Ses réflexions sur la sujétion à laquelle sont soumis les petits chez les grands; c) Répétition du rôle qu'il doit jouer auprès d'Alcmène; d) Interruption causée par le bruit qu'il entend; Pourquoi Sosie dit-il : Qui va là ?... Messieurs, ami de tout le monde ? Y a-t-il réellement quelqu'un devant lui ? Dégagez quelques-unes des réflexions amères qu'il fait au sujet de sa situation; A-t-il assisté au combat dont il doit faire le récit? Comment en parlera-t-il ? De quoi fait-il preuve, soit en repassant son rôle, soit en racontant le combat?
III. — Le style; — les expressions. — Attachez-vous à faire ressortir la souplesse et la variété du style, dans ce morceau; Indiquez le sens des expressions suivantes : un discours prémédité, — un oculaire témoin, — d'estoc et de taille (estoc : pointe de l'épée; taille : le tranchant); Les mots Sosie et Amphitryon ne sont-ils pas devenus des noms communs? Que désignent-ils? Que signifie : une frayeur qui s'évade ?
IV. — La grammaire. — Indiquez les mots de la même famille que oculaire, — que courrier; Quelles sont les propositions contenues dans ce vers : Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène? Nature de chacune d'elles; 30 Nature et fonction de chacun des mots suivants : que l'on mène.
Rédaction. — Qu'est-ce qu'un monologue? Indiquez quelques-unes des circonstances dans lesquelles un personnage, au théâtre, peut être amené à parler seul. — Quel défaut doit-il éviter? — D'où provient l'intérêt du monologue de Sosie?
«
(Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes,M'a voulu choisir entre tousPour vous donner avis du succès de ses armes,Et du désir qu'il a de se voir près de vous.— Ah! vraiment, mon pauvre Sosie,A te revoir, j'ai de la joie au coeur.— Madame, ce m'est trop d'honneur,Et mon destin doit faire envie.(Bien répondu!) — Comment se porte Amphitryon?— Madame, en homme de courage,Dans les occasions où la gloire l'engage,(Fort bien! belle conception!)— Quand viendra-t-il, par son retour charmant,Rendre mon âme satisfaite?— Le plus tôt qu'il pourra, madame, assurément,Mais bien plus tard que son coeur ne souhaite.
(Ah!)— Mais quel est l'état où la guerre l'a mis?Que dit-il ? que fait-il? Contente un peu mon âme.- Il dit moins qu'il ne fait, madame,Et fait trembler les ennemis.
(Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?)
— Que font les révoltés? Dis-moi, quel est leur sort?— Ils n'ont pu résister, madame, à notre effort :Nous les avons taillés en pièces,Mis Ptérélas, leur chef, à mort,Pris Télèbe d'assaut; et déjà dans le portTout retentit de nos prouesses.— Ah! quel succès, ô dieux! qui l'eût pu jamais croire?Raconte-moi, Sosie, un tel événement.— Je le veux bien, madame : et, sans m'enfler de gloire,Du détail de cette victoireJe puis parler très savamment.Figurez-vous donc que Télèbe.Madame, est de ce côté;(Sosie marque les lieux sur sa main ou à terre.) C'est une ville, en vérité,Aussi grande quasi que Thèbe.La rivière est comme là;Ici, nos gens se campèrent :Et l'espace que voilà,Nos ennemis l'occupèrent.Sur un haut, vers cet endroit,Était leur infanterie;Et plus bas, du côté droit,Était la cavalerie.Après avoir aux dieux adressé les prières,Tous les ordres donnés, on donne le signal :Les ennemis, pensant nous tailler des croupières,Firent trois pelotons de leurs gens à cheval;Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée,Et vous allez voir comme quoi.Voilà notre avant-garde, à bien faire animée :Là, les archers de Créon, notre roi;Et voici le corps d'armée,(On fait un peu de bruit.)Qui d'abord...? Attendez : le corps d'armée a peur...
(Amphitryon, acte I, sc.
i.)
QUESTIONS D'EXAMEN
I.
— L'ensemble.
— Un monologue plein de mouvement, et qui, dans la seconde moitié, se transforme en unevéritable petite comédie.
— De quelle mission Sosie a-t-il été chargé par son maître? Quel vous paraît être le traitdominant de son caractère ? (il est peureux; déjà, pendant le combat, il s'était montré poltron...); Comment vousexpliquez-vous qu'il parle seul ? Montrez que le monologue devient un dialogue, dans la seconde partie; Sosie ne se.
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