(Alexis de Tocqueville, à la lumière d'un voyage en Amérique, réfléchit aux transformations auxquelles il assistait en Europe)
Publié le 24/04/2011
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« Dans les pays aristocratiquement et hiérarchiquement organisés, le pouvoir ne s'adresse jamais directement à l'ensemble des gouvernés. Les hommes tenant les uns aux autres, on se borne à conduire les premiers. Le reste suit. Ceci s'applique à la famille, comme à toutes les associations qui ont un chef. Chez les peuples aristocratiques, la société ne connaît, à vrai dire, que le père. Elle ne tient les fils que par les mains du père ; elle le gouverne et il les gouverne. Le père n'y a donc pas seulement un droit naturel. On lui donne un droit politique à commander. Il est l'auteur et le soutien de la famille ; il en est aussi le magistrat. Dans les démocraties, où le bras du gouvernement va chercher chaque homme en particulier au milieu de la foule pour le plier isolément aux lois communes, il n'est pas besoin de semblable intermédiaire ; le père n'est, aux yeux de la loi, qu'un citoyen plus âgé et plus riche que ses fils... « Quand les hommes vivent dans le souvenir de ce qui a été, plutôt que dans la préoccupation de ce qui est, et qu'ils s'inquiètent bien plus de ce que leurs ancêtres ont pensé qu'ils ne cherchent à penser eux-mêmes, le père est le lien naturel et nécessaire entre le passé et le présent, l'anneau où ces deux chaînes aboutissent et se rejoignent. Dans les aristocraties, le père n'est donc pas seulement le chef politique de la famille ; il y est l'organe de la tradition, l'interprète de la coutume, l'arbitre des mœurs. On l'écoute avec déférence ; on ne l'aborde qu'avec respect, et l'amour qu'on lui porte est toujours tempéré par la crainte. « L'état social devenant démocratique, et les hommes adoptant pour principe général qu'il est bon et légitime de juger toutes choses par soi-même en prenant les anciennes croyances comme renseignement et non comme règle, la puissance d'opinion exercée par le père sur les fils devient moins grande aussi bien que son pouvoir légal. « La division des patrimoines qu'amène la démocratie contribue peut-être plus que tout le reste à changer les rapports du père et des enfants. Quand le père de famille a peu de bien, son fils et lui vivent sans cesse dans le même lieu, et s'occupent en commun des mêmes travaux. L'habitude et le besoin les rapprochent et les forcent à communiquer à chaque instant l'un avec l'autre ; il ne peut donc manquer de s'établir entre eux une sorte d'intimité familière qui rend l'autorité moins absolue, et qui s'accommode mal avec les formes extérieures du respect. Or, chez les peuples démocratiques, la classe qui possède ces petites fortunes est précisément celle qui donne la puissance aux idées et le tour aux mœurs. Elle fait prédominer partout ses opinions en même temps que ses volontés, et ceux mêmes qui sont le plus enclins à résister à ses commandements finissent par se laisser entraîner par ses exemples. J'ai vu de fougueux ennemis de la démocratie qui se faisaient tutoyer par leurs enfants. Ainsi, dans le même temps que le pouvoir échappe à l'aristocratie, on voit disparaître ce qu'il y avait d'austère, de conventionnel et de légal dans la puissance paternelle, et une sorte d'égalité s'établit autour du foyer domestique. « Je ne sais si, à tout prendre, la société perd à ce changement ; mais Je suis porté à croire que l'individu y gagne. Je pense qu'à mesure que les mœurs et les lois sont plus démocratiques, les rapports du père et du fils deviennent plus intimes et plus doux ; la règle et l'autorité s'y rencontrent moins ; la confiance et l'affection y sont souvent plus grandes, et il semble que le lien naturel se resserre, tandis que le lien social se détend. Dans la famille démocratique, le père n'exerce guère d'autre pouvoir que celui qu'on se plaît à accorder à la tendresse et à l'expérience d'un vieillard. Ses ordres seraient peut-être méconnus ; mais ses conseils sont d'ordinaire pleins de puissance. S'il n'est point entouré de respects officiels, ses fils du moins l'abordent avec confiance. Il n'y a point de formule reconnue pour lui adresser la parole ; mais on lui parle sans cesse, et on le consulte volontiers chaque jour. Le maître et le magistrat ont disparu ; le père reste. « • Vous ferez, à votre choix, de ce texte, soit un résumé qui respecte l'ordre suivi par l'auteur, soit une analyse qui dégage les différentes idées en en soulignant l'enchaînement et l'importance relative. Vous choisirez ensuite dans ce même texte un sujet de réflexion auquel vous attachez un intérêt particulier, vous l'énoncerez, le délimiterez clairement et exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.
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