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ACTE IV, SCENE V - HORACE - CORNEILLE

Publié le 05/07/2011

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horace

HORACE, CAMILLE, PROCULE (Procule porte en sa main les trois épées des Curiaces.)

HORACE. Ma sœur, voici le bras qui venge nos deux frères, Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires, Qui nous rend maîtres d'Albe; enfin voici le bras Qui seul fait aujourd'hui le sort de deux Etats. Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma gloire, Et rends ce que tu dois à l'heur de ma victoire.

CAMILLE. Recevez donc mes pleurs, c'est ce que je lui dois. HORACE Rome n'en veut point voir après de tels exploits, Et nos deux frères morts dans le malheur des armes Sont trop payés de sang pour exiger des larmes. Quand la perte est vengée, on n'a plus rien perdu

CAMILLE. Puisqu'ils sont satisfaits par le sang épandu, Je cesserai pour eux de paraître affligée, Et j'oublierai leur mort que vous avez vengée ; Mais qui me vengera de celle d'un amant Pour me faire oublier sa perte en un moment?

HORACE. Que dis-tu, malheureuse?

CAMILLE. O mon cher Curiace!

HORACE. O d'une indigne sœur, insupportable audace ! D'un ennemi public dont je reviens vainqueur Le nom est dans ta bouche et l'amour dans ton cœur! Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire! Ta bouche la demande, et ton cœur la respire! Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs, Ne me fais plus rougir d'entendre tes soupirs! Tes flammes désormais doivent être étouffées, Bannis-les de ton âme et songe à mes trophées, Qu'ils soient dorénavant ton unique entretien.

CAMILLE. Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien ; Et si tu veux enfin que je t'ouvre mon âme, Rends-moi mon Curiace ou laisse agir ma flamme : Ma joie et mes douleurs dépendaient de son sort ; Je l'adorais vivant, et je le pleure mort. Ne cherche plus ta sœur où tu l'avais laissée; Tu ne revois en moi qu'une amante offensée, Qui, comme une Furie attachée à tes pas, Te veut incessamment reprocher son trépas. Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes, Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes, Et que, jusques au ciel élevant tes exploits, Moi-même je le tue une seconde fois !

L'ensemble. — Le désespoir de Camille, déjà esquissé par Tite- Live, se manifeste ici dans toute son ampleur. Son frère Horace a tué son fiancé Curiace et il ose s'en faire gloire aux yeux de la jeune fille. Celle-ci laisse éclater toute sa passion, toute sa douleur, plus émouvantes, dans ce passage, à mon avis que dans les « imprécations « fameuses où la violence et la haine se déchaînent plus que la souffrance et que l'amour. Cette révolte de Camille provoque le dénouement de la pièce, puisque Horace va la mettre à mort. Corneille exprime à cet endroit des sentiments dont il n'est pas coutumier : la passion l'emportant sur l'idéal moral et patriotique, une femme mettant l'amour au-dessus de tout, sacrifiant son devoir à celui qu'elle aime. Nous voyons par là que Corneille aurait pu, aussi bien que Racine, peindre des héroïnes follement passionnées. Une telle scène nous reporte à une époque encore barbare et primitive.

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