ACTE IV, SCENE III - Polyeucte de Corneille
Publié le 05/07/2011
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POLYEUCTE. Je considère plus, je sais mes avantages, Et l'espoir que sur eux forment les grands courages. Ils n'aspirent enfin qu'à des biens passagers, Que troublent les soucis, que suivent les dangers. La mort nous les ravit, la fortune s'en joue; Aujourd'hui dans le trône, et demain dans la boue; Et leur plus haut éclat fait tant de mécontents, Que peu de vos Césars en ont joui longtemps. J'ai de l'ambition, mais plus noble et plus belle: Cette grandeur périt, j'en veux une immortelle, Un bonheur assuré, sans mesure et sans fin, Au-dessus de l'envie, au-dessus du destin. Est-ce trop l'acheter que d'une triste vie Qui tantôt, qui soudain me peut être ravie; Qui ne me fait jouir que d'un instant qui fuit, Et ne peut m'assurer de celui qui le suit? Je la voudrais pour eux perdre dans un combat; Je sais quel en est l'heur et quelle en est la gloire. Des aïeux de Décie on vante la mémoire: Et ce nom, précieux encore à vos Romains, Au bout de six cents ans lui met l'empire aux mains. Je dois ma vie au peuple, au prince, à sa couronne: Mais je la dois bien plus au Dieu qui me la donne: J'en verse, et plût à Dieu qu'à force d'en verser Ce cœur trop endurci se pût enfin percer! Le déplorable état où je vous abandonne Est bien digne des pleurs que mon amour vous donne; Et si l'on peut au ciel sentir quelques douleurs, J'y pleurerai pour vous l'excès de vos malheurs: Mais si, dans ce séjour de gloire et de lumière, Ce Dieu tout juste et bon peut souffrir ma prière, S'il y daigne écouter un conjugal amour, Sur votre aveuglement il répandra le jour. Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne: Elle a trop de vertus pour n'être pas chrétienne; Avec trop de mérite il vous plut la former,' Pour ne vous pas connaître et ne vous pas aimer, Pour vivre des enfers esclave infortunée Et sous leur triste joug mourir comme elle est née. PAULINE. Que dis-tu, malheureux? Qu'oses-tu souhaiter? POLYEUCTE. Ce que de tout mon sang je voudrais acheter. PAULINE. Que plutôt... POLYEUCTE. C'est en vain qu'on se met en défense: Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense. Ce bienheureux moment n'est pas encor venu ; Il viendra, mais le temps ne m'en est pas connu. PAULINE. Quittez cette chimère et m'aimez. POLYEUCTE. Je vous aime, Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi- [même. PAULINE. Au nom de cet amour ne m'abandonnez pas, POLYEUCTE. Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas. PAULINE. C'est peu de me quitter, tu veux donc me séduire? POLYEUCTE. C'est peu d'aller au ciel, je vous y veux conduire.
L'ensemble. — Ce dialogue, entre Polyeucte et Pauline, dans la prison, est un des plus beaux passages de la pièce. On peut y analyser l'âme admirable de Polyeucte, son besoin de dévouement et d'apostolat, sa soif d'absolu. Son cœur est trop grand pour tout ce qu'offre la vie et il se détourne de ces biens incomplets pour aller vers ce qu'il croit le bien total. On voit aussi la lutte qu'il doit soutenir contre tout ce que lui oppose Pauline. Le caractère enthousiaste de Corneille se manifeste également. On remarquera aussi l'art du grand poète dans la construction des dialogues, dans les répliques fortes et vives qui se croisent avec beaucoup de pathétique.
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