ACTE II, SCENE VIII: LE VIEIL HORACE, HORACE, CURIACE (CORNEILLE)
Publié le 05/07/2011
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HORACE. Mon père, retenez des femmes qui s'emportent, Et, de grâce, empêchez surtout qu'elles ne sortent. Leur amour importun viendrait avec éclat Par des cris et des pleurs troubler notre combat; Et ce qu'elles nous sont ferait qu'avec justice On nous imputerait ce mauvais artifice: L'honneur d'un si beau choix serait trop acheté Si l'on nous soupçonnait de quelque lâcheté.
LE VIEIL HORACE. J'en aurai soin. Allez, vos frères vous attendent; Ne pensez qu'aux devoirs que vos pays demandent.
CURIACE. Quel adieu vous dirai-je? et par quels compliments...
LE VIEIL HORACE. Ah! n'attendrissez point ici mes sentiments: Pour vous encourager ma voix manque de termes.- Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes ; Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux. Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux. Loin de blâmer les pleurs que je vous vois répandre, Je crois faire beaucoup de m'en pouvoir défendre. Et céderais peut-être à de si rudes -coups Si je prenais ici même intérêt que vous. Non qu'Albe par son choix m'ait fait haïr vos frères. Tous trois me sont encor des personnes bien chères; Mais enfin l'amitié n'est pas du même rang, Et n'a point les effets de l'amour ni du sang; Je ne sens point pour eux la douleur qui tourmente Sabine comme sœur, Camille comme amante: Je puis les regarder comme nos ennemis, Et donne sans regret mes souhaits à mes fils. Ils sont, grâces aux dieux, dignes de leur patrie ; Aucun étonnement n'a leur gloire flétrie; Et j'ai vu leur honneur croître de la moitié Quand ils ont des deux camps refusé la pitié. Si par quelque faiblesse ils l'avaient mendiée, Si leur haute vertu ne l'eût répudiée, Ma main bientôt sur eux m'eût vengé hautement De l'affront que m'eût fait ce mol consentement. Mais, lorsqu'en dépit d'eux on en a voulu d'autres, Je ne le cèle point, j'ai joint mes vœux aux vôtres. Si le ciel pitoyable eût écouté ma voix, Albe serait réduite à faire un autre choix : Nous pourrions voir tantôt triompher les Horaces Sans voir leurs bras souillés du sang des Curiaces, Et de l'événement d'un combat plus humain Dépendrait maintenant l'honneur du nom romain. La prudence des dieux autrement en dispose; Sur leur ordre éternel mon esprit se repose : Il s'arme en ce besoin de générosité Et du bonheur public fait sa félicité. Tâchez d'en faire autant pour soulager vos peines Et songez toutes deux que vous êtes Romaines: Vous l'êtes devenues et vous l'êtes encore Un si glorieux titre est un digne trésor. Un jour, un jour viendra que par toute la terre Rome se fera craindre à l'égal du tonnerre, Et que, tout l'univers tremblant dessous ses lois, Ce grand nom deviendra l'ambition des rois: Les dieux à notre Enée ont promis cette gloire.
L'ensemble. — Nous pouvons analyser ici le caractère du vieil Horace. Plus humain que son fils, plus énergique que Curiace, c'est une des admirables ligures de vieillards créées par Corneille. Sa bonté, sa pitié, son affection pour les Curiaces se manifestent sans hésiter, mais il sait élever son âme, s'en remettre au Ciel sur l'issue du combat et donner à sa fille et à sa belle-fille de nobles et fortes leçons. Corneille se trouve à son aise dans l'expression de ces grands sentiments, dans cette lutte entre deux tendances également belles; son style emprunte la fermeté des idées romaines, et l'on sent combien il est intéressé par ces sujets historiques. La grandeur future de Rome est sans cesse évoquée; on pourrait presque dire qu'elle sert de toile de fond à toute la pièce.
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